Chapitre 8
Ratatouille m’avait juré que ce serait le meilleur voyage de ma vie. Le meilleur voyage culinaire, j’entends. Car la place d’un rat d’égout n’est pas sur un bateau de croisière. C’est lui qui a eu l’idée car il en avait marre de m’entendre me plaindre. Me plaindre de la bouffe dégueulasse des rues, de mes congénères rachitiques devenus hyper violents à cause de leurs estomacs vides.
Ratatouille, il prend tout ça avec du recul, car il a connu la misère et puis la notoriété à Paris en tant que chef cuistot. Un rat devenu chef, élément indispensable au sein de l’un des restaurants les plus cotés de la capitale, on croirait à une énorme blague. Mais non. Je crois qu’il restera l’exception qui confirme la règle. Et puis il a tout arrêté, car trop jalousé par les rats des rues, menacé de mort s’il ne livrait pas le secret de ses talents culinaires, et tout ! C’est pour ça qu’il a émigré à Marseille. Il n’a révélé son identité à personne ici, sauf à ses amis les plus proches, dont moi. Il est redevenu un vulgaire rat d’égout, qui trime pour trouver de quoi se nourrir chaque jour. Puis un jour il a eu l’idée des croisières. Je vous explique.
Les bipèdes raffolent de ce genre de voyage. Des jours et des jours enfermés dans un paquebot, avec un tas de trucs « avantageux ». Une piaule de luxe de 12 m² (alors qu’ils crieraient au scandale s’ils vivaient au quotidien dans une boîte à sardines comme celle-là), une salle de bains privative (avec zéro place et zéro fenêtre, je vous dis pas les odeurs), des activités débiles avec plein d’autres bipèdes du bateau, une mini piscine qui pue le chlore à pleine truffe, et de la bouffe. Énormément de bouffe. Et pas de la bouillabaisse de première classe, non, non. Des pieds et paquets d’agneau, de la daube, d’autres trucs épicés Provençaux, mais aussi des truffes du Périgord, du foie gras du Sud-Ouest, des frites du Nord, du fromage de Normandie, de l’aligot, du bœuf bourguignon, des fars bretons, et j’en oublie. Ils se sont pas emmerdés pour la thématique de la croisière : « la France sur les flots du Costa Covidia ». Sans doute que les producteurs de la région PACA préfèrent recevoir les clients à leurs propres tables plutôt que de participer à cette mascarade. Bref. Moi perso c’est ça qui m’a poussé à embarquer : la bouffe luxueuse. Pendant 8 jours, peinard.
Pendant 8 jours j’ai même vu l’Italie et d’autres pays dont je me rappelle pas le nom. Je savais même pas qu’il existait d’autres pays que la France. Qu’il existait une autre ville que Marseille (à part Paris, grâce à ma rencontre avec Ratatouille). Je suis qu’un rat et faut pas m’en demander trop, niveau intellectuel. J’ai aussi rencontré des personnalités bipèdes extravagantes, faut que je vous raconte. J’ai mes préférées, toutes liées à des anecdotes de bouffe, surtout les derniers jours ! Pour vous la faire courte, tous les membres du bateau même les voyageurs mangeaient dans une grande salle de restaurant durant les 8 jours de la croisière. Et évidemment, la plupart ne parvenaient pas à finir leur assiette. Qu’est-ce que j’ai pesté intérieurement contre ces gaspilleurs qui jettent leur pognon par les fenêtres ! Mais en même temps je ne pouvais pas leur en vouloir : leur gaspillage finissait dans ma gueule. Tous les restes d’assiettes étaient en effet jetés dans les poubelles, lesquelles se situaient dans un local spécifique dans lequel j’ai d’ailleurs pris mes quartiers, caché entre des vieux cartons (en fait c’était la seule pièce non luxueuse du paquebot, ça collait parfaitement avec mes origines). Ratatouille ne m’avait pas menti, je me suis régalé ! Je crois que j’ai pris 1 kg…
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