Lu en mars 2022, Migrations,Là où vont nos pères Shaun Tan

Là où vont nos pères (2007), Tan Shaun

Shaun Tan est un auteur de bandes dessinées Australien qui offre ici une œuvre magnifique, avec un dessin précis, classique, monochrome. Les tons sépia ajoutent de l’humanité à l’ouvrage muet, ce qui fait comprendre au lecteur la dureté de l’exil, où que ce soit, quelle que soit l’époque.

Un homme quitte son pays (chassé par la famine ? par une mise au ban politique ?) et sa famille ; et s’embarque sur un grand bateau. Bien sûr les dessins évoquent les États-Unis et Ellis Island mais Shaun tan a transfiguré les paysages en un monde onirique, étrange, déstabilisant pour nous faire partager la perception de l’immigré plongé dans un monde qu’il ne connaît pas, dont il ne parle pas la langue ; qu’il ne comprend pas, dans lequel il est d’abord soumis à un tri inhumain. On suit son itinéraire chaotique, ses rencontres salvatrices qui vont lui permettre de trouver progressivement des repères et à terme de faire venir sa famille.

Le rythme est donné par la variété de la mise en page : accumulation de petites cases pour décrypter une situation complexe, doubles-pages de paysages agressifs par leurs bizarreries labyrinthiques. Sans paroles, il résume magnifiquement tous les aspects dramatiques de l’exil que nous avons découvert dans les autres fictions. Si on veut approfondir la lecture de cette bande dessinée, on peut consulter à la médiathèque le « making of » très détaillé de l’élaboration de l’œuvre.

Lu en Mars 2022, Migrations,La commode aux tiroirs de couleurs (2020), Olivia Ruiz

La commode aux tiroirs de couleurs (2020), Olivia Ruiz

D’inspiration autobiographique, Olivia Ruiz plutôt connu comme compositrice et interprète, signe avec La commode aux tiroirs de couleurs, son premier roman. Elle nous dépeint l’exil de trois femmes espagnoles sous le régime de Franco et plus particulièrement celui de sa grand-mère Rita.

L’intrigue commence après le décès de « l’abuela » de la narratrice Olivia ; « l’abuela » ayant laissé comme héritage à sa petite-fille une commode aux tiroirs multicolores qui renferme chacun des bribes de souvenirs de son histoire familiale. A chaque tiroir, un chapitre et une nouvelle étape dans la vie de Rita. A travers l’histoire de ces femmes sur plusieurs générations diverses thématiques sont abordées : la difficulté d’être immigré dans un pays étranger, l’amour charnel et fraternel, les répercussions d’une guerre et les non-dits au sein d’une famille. Un voyage à travers des décennies, bouleversant.

« Enfin, après tant d’années d’impatience domptée, je vais savoir pourquoi elle s’emballait à ce point pour cacher le secret que renfermaient ces dix tiroirs. Ma grand-mère les nommait ses renferme-mémoire. »

Pour son premier roman l’autrice surprend par son style fin et agréable à lire et s’inscrit dans un devoir de mémoire hérité de ses propres aïeuls. A noter, que ce roman a fait l’objet d’une adaptation en roman graphique en 2021 par Véronique Grisseaux aux éditions Bamboo.

Lu en mars 2022, Migrations, Certaines n’avaient jamais vu la mer (2012),Julie Otsuka

Certaines n’avaient jamais vu la mer (2012),Julie Otsuka

D’origine japonaise mais de nationalité américaine, l’autrice a écrit à ce jour deux œuvres qui ont su se faire remarquer : Quand l’empereur était un dieu en 2004 et Certaines n’avaient jamais vu la mer en 2012. Ce dernier titre remportera d’ailleurs le prix Fémina étranger la même année.

L’œuvre relate l’exil de jeunes japonaises vers les Etats-Unis au début du XXème siècle qui croient inévitablement en une vie meilleure au-delà de l’océan Pacifique. Or, la réalité est tout autre à leurs arrivées dans ce pays inconnu. De la première nuit avec leurs futurs maris à leurs accouchements, ces femmes découvrent ce qu’est une vie rude, brutale et sans amour.

« Ils nous ont prises avec frénésie sur des draps aux tâches jaunies. Avec aisance et sans histoires, car certaines d’entre nous avaient vécu cela bien des fois. Sous l’emprise de l’alcool. Avec brutalité, sans la moindre considération, en se moquant bien de nous faire mal. J’ai cru que mon vagin aller exploser. »

Elles sont alors instrumentalisées, complétement soumises et dévoués à leurs maris et à leurs enfants. Rien ne leur est accordé. Rien ne leur est épargné.

Le livre évoque également la guerre du Pacifique durant la seconde guerre mondiale qui amènera ces japonais installés aux Etats-Unis à un second exil.

La spécificité narrative de ce roman est que seule la deuxième personne du pluriel « nous » est utilisée ce qui souligne l’anonymat de toutes ces femmes meurtries. Les lecteurs ne peuvent en effet s’attacher à un personnage en particulier.

Même si les phrases sont brèves parfois sèches, l’écriture de l’écrivaine reste poétique et soignée et nous emporte dans ces faits encore trop méconnus de l’Histoire du Japon.

Lu en Mars 2022, Migrations,Autour de ton cou ,Chimamanda Ngozi Adichie

Autour de ton cou : nouvelles (2012), Chimamanda Ngozi Adichie

Cette autrice Nigériane, née en1977 au Nigeria vit actuellement aux États-Unis. Elle nous a offert en 2009 cet ensemble de 10 nouvelles, soient autant de touches successives pour décrire de façon sensible la société nigériane et les problèmes qui la traversent. Ce sont essentiellement des histoires de femmes, issues des classes moyennes, qui ont eu accès aux études universitaires. Cela ne les empêche pas de connaître le déclassement ou de ne pas se sentir à leur place dans un pays où les inégalités économiques, culturelles sont immenses, la corruption quasi-généralisée et les accès de crises ethniques, religieuses ravageuses.

L’issue, c’est l’exil, principalement aux États-Unis. La désillusion est souvent à l’arrivée : le mari promis n’est pas à la hauteur, la situation économique est précaire ce qui contraint ces femmes et ces hommes à faire de basses besognes mal payées et à habiter dans des logements sommaires. Ils vivent souvent entre eux ou avec des membres de la communauté noire américaine dont ils soulignent la différence. Pour ceux qui « réussissent » et vivent dans les quartiers de notables blancs à Princeton par exemple, l’intégration n’est pas évidente et le rapport au pays natal non plus.

Chaque nouvelle est suffisamment longue pour nous faire découvrir de façon nuancée les protagonistes et créer une forte empathie. Dans leur diversité, les douleurs évoquées trouvent leur écho dans les autres romans que nous avons lus pour cette séance.

Lu en Mars 2022 , Migrations, Soleil amer, Lilia Hassaine

Soleil amer (2021), Lilia Hassaine

La romancière a emprunté ce titre à Rimbaud. Naja quitte l’Algérie au début des années 60, avec ses trois enfants, pleine d’espoir d’une vie meilleure, pour rejoindre son mari, ouvrier dans l’industrie automobile. Mais il est devenu violent et elle ne le reconnait pas. Confrontée à des conditions de vie difficile, elle est obligée de confier l’un de ses jumeaux à la famille du frère de son mari, qui vit confortablement et ne peut avoir d’enfants. Daniel deviendra officiellement le neveu de sa mère, Ce qui provoquera une immense souffrance chez Naja et sera l’enjeu de rivalités entre les deux familles.

Cette femme écrasée par les traditions et sa condition tente d’élever au mieux ses enfants dans une cité HLM qui se ghettoïse mais elle peine à trouver sa place. Une de ses filles parviendra à renouer avec leur pays et leurs origines.

Ce roman raconte la réalité d’une époque, les désillusions.

« Quitter un pays qu’elles aimaient, suivre un mari qui trimait, perdre leurs enfants un par un, se demander si elles avaient fait le bon choix, être mère c’était ça, accumuler les erreurs, apprendre sans cesse, échouer encore. Les héroïnes, c’était elles. »