Coups de cœur juin 2021:Richard Wagamese, Jeu blanc (2012)

Richard Wagamese, Jeu blanc (2012)

Richard Wagamese est né en 1955 dans le nord-ouest de l’Ontario et est mort en 2017à Kamloops, en Colombie-Britannique. Ses œuvres abordent les questions relatives aux identités et aux cultures autochtones.

Jeu blanc, écrit en 2012, a été récompensé par le Burt Award for First Nations, Métis and Inuit Literature. À notre échelle départementale, il vient d’obtenir le Prix Étranges Lectures (proposé par la Bibliothèque départementale de Prêt de Périgueux).

Saul Indian Horse a grandi sur les rives de la rivière Winnipeg, au sein de sa famille, bercé par les légendes de son peuple Ojibwé et entouré par cette nature belle et sauvage du Nord de l’Ontario (province Canadienne).

Lorsqu’il a 8 ans, il est un jour arraché à sa famille par le peuple Blanc. Sa grand-mère, avec laquelle il avait une relation fusionnelle, va mourir sous ses yeux dans la neige. Il est fait prisonnier dans un pensionnat catholique, où le but de ses détenteurs est d’effacer ses origines amérindiennes.

Il trouve son salut dans la pratique du hockey sur glace, sport dans lequel il va exceller. Il va plus tard être repéré par un recruteur, ce qui lui permettra d’échapper à l’enfer du pensionnat. Mais c’est sans compter le racisme ambiant des années 70, où trouver sa place dans une équipe de joueurs Blancs, au sein d’un Jeu Blanc (en référence au titre du livre) n’est pas chose aisée. Saul Indian Horse va devoir se battre pour exister, va devoir se battre pour affronter ses démons et les violences refoulées au fond de lui. Celles subies suite à la perte des siens, mais également celles subies au sein du pensionnat, où même les personnes bienveillantes avec lui se révèlent être de la pire espèce…

Même s’il n’a pas vécu toutes ces horreurs étant enfant, Richard Wagamese a été témoin de la destruction d’un peuple et d’une culture. Son style d’écriture est simple et efficace, ce qui en fait un roman bouleversant.

Coups de coeur Juin 2021: Huriya, Entre les jambes

H uriya, Entre les jambes (2021)

Un titre provocateur pour un roman mordant, incisif et largement autobiographique qui se déroule au Maroc, puis en France dans les années 70.

Il est question d’identité, et plus largement de la société marocaine, de la place des femmes, des rancœurs de la colonisation.

Pour commencer un enfant déposé brutalement vers cinq six ans chez sa grand-mère par sa mère avec ces mots : « Tiens, le voilà, garde-le » . Il reçoit pour la première fois un prénom , Moulay Saïd, l’identifiant comme un garçon incarnant l’honneur d’une famille et défenseur du Prophète.

Mais il est difficile de se construire une identité lorsqu’on est né avec les deux sexes (d’où le titre), qu’on vit dans un microcosme fondé sur le mensonge (personne dans l’entourage ne doit connaître son « secret » ni son origine, la grand-mère le fait passer pour le fils de son frère) et entre deux êtres incompatibles .

La grand-mère, Berbère , se présente comme défenseure des traditions, de la religion qu’elle pratique avec ostentation, et elle est pétrie de superstitions et d’une haine viscérale du colonisateur.

Ce qui ne l’empêche nullement d’être hypocrite, méprisante, médisante et vénale. Si elle reste avec le « Françaoui » qu’elle hait parce qu’il incarne tout ce qu’elle déteste (le colonisateur, le mécréant, la culture), c’est pour son argent dont elle profite sans vergogne. Le mariage contraint est le fruit de son unique nuit avec cet homme dont elle était la servante et dont elle est tombé enceinte de Jamila, la mère de l’enfant. Maintenant qu’elle a une bonne,  une esclave Aïcha elle la traite avec une extrême dureté. L’enfant observe, critique.

Le grand-père, Français, de vingt ans plus vieux que sa femme, est un ancien militaire, poursuivi par les cauchemars des guerres coloniales, a trouvé refuge dans l’alcool et la littérature qui se réclame de Baudelaire et de Proust. L’enfant , à l’attention incisive a remarqué les vides entre certains livres dans la bibliothèque, ménagés entre des auteurs « incompatibles 

 » – Tu sais, dans la vie, [ dit le grand-père] , il y a des vides qu’on ne peut jamais combler.

– Comme toi et grand-mère

– Exactement »

La grand-mère lui livre une guerre sans pitié. L’enfant est au milieu… Il en récolte le pire et le meilleur . Tôt mûri par la vie, il observe avec humanité et forge ses opinions.

La mort de la grand-mère est une libération . Le grand-père envoie Moulay Saïd faire ses études à Paris où il se réalisera et trouvera enfin son identité et son nom pour ce récit Huriya, Liberté.

Ce livre dissèque implacablement la place des femmes dans la société marocaine. Elles sont considérées comme des humains de sous-ordre, pour qui mieux vaut ne pas exister (il fut un temps ou on a pu les éliminer sans scrupule à la naissance) , étouffées par la religion, la tradition, les hommes , vouées à l’invisibilité du voile et de l’intérieur de la maison, méprisées, violentées, niées et en même temps objet de désir de convoitise. Ces femmes majoritairement imbibées de cette culture, participent à leur propre oppression.

Celui qui a donné à Huriya le goût des livres, lui a aussi ouvert le monde de l’écriture. Elle signe un texte fort, sans fioritures. Cette auteure a déjà publié plusieurs romans, sous divers pseudonymes et ce récit nous aide à comprendre comment elle peut vivre des identités multiples.

Un autre auteur a su parler de intersexualité avec beaucoup de finesse, c’est Martin Winkler dans «  Le chœur des femmes »

Coup de coeur :Judith Perrignon, Là où nous dansions

Judith PERRIGNON, Là où nous dansions (2021)

Judith Perrignon est une journaliste, écrivaine et essayiste.

Née en 1967, entrée en 1991 au journal Libération comme journaliste politique, elle fera un détour par la page « Portraits » de ce journal, avant de le quitter en avril 2007. Depuis, elle collabore en tant que pigiste aux revues Marianne, M, le magazine du Monde et XXI et elle s’adonne à l’écriture de livres.

Detroit, 2013. Ira, flic d’élite, contemple les ruines du Brewster Douglass Project où s’est déroulée son enfance. Tant d’espoirs et de talents avaient germé entre ces murs qu’on démolit. Tout n’est plus que silence sous un ciel où planent les rapaces. Il y a quelques jours, on y a découvert un corps – un de plus.

Pour trouver les coupables, on peut traverser la rue ou remonter le cours de l’Histoire. Quand a débuté le démantèlement de la ville, l’abandon de ses habitants ?

Judith Perrignon croise ici les voix, les époques (de Roosevelt à nos jours), les regards, l’histoire d’une ville combative, fière et musicale que le racisme et la violence économique ont déconstruite et brisée. La ville subit l’échec du capitalisme et en devient le cadavre. L’auteur souhaite que ses livres expliquent les courants de l’histoire.

« Detroit est une ville où je me perds encore, et que je ne comprends pas toujours. Pourtant, c’est une ville construite par les Français, au bord de la rivière, et qui part en étoile, comme la place de l’étoile à Paris, c’est pour cela que les quartiers s’appelaient les petits Paris. C’est une ville qui, dans sa conception initiale, aurait pu plaire eux Européens, mais elle est devenue le berceau de l’automobile, et les concepteurs des voitures ont voulu tout casser de ce qui relie les quartiers entre eux, ils ont fait ces autoroutes et donc la ville est formée de poches, de quartiers qui ne communiquent pas entre eux, et encore moins après 50 ans de déclin. À Detroit, il faut vraiment parler, et se faire conduire par les gens qui y ont grandi, pour essayer de reconstruire l’histoire, parce que toutes ces maisons effondrées racontent quelque chose. Et dans cette ville, qui était une ville de la vitesse et de l’automobile, à un moment, ça s’est arrêté, et on ne peut plus que chercher à comprendre, puisqu’il n’y a plus cette vitesse qui vous entraîne.

Dans les années 2010, il y a eu beaucoup de photos des ruines de Detroit, qui fascinaient, de façon un peu morbide, sur la fin de notre monde, puisque cette ville c’est le monde moderne, le monde industriel, mais, on ne voyait jamais assez les gens sur les photos, alors qu’il y a des bars où ça chante, des groupes et de nombreuses initiatives, et je voulais qu’on voit les ombres, mais aussi les lumières dans cette ville en plein déclin. »

Coups de cœur juin 2021: Gaëlle Josse, Ce matin là

Gaëlle JOSSE, Ce matin-là (2021)

Ce matin là, c’est celui où tout s’arrête : La voiture qui ne veut pas démarrer et Clara aussi s’immobilise. Un  burn out. Cette jeune femme de la trentaine, battante, a assumé sans remord sa vie, ses choix, même lorsqu’ils allaient à l’encontre de ses désirs profonds . Elle vit un amour épanouissant, travaille ardemment et battit une carrière. Elle ne s’est pas alarmée du malaise que lui procurent certains aspects de son travail et la pression incessante de ses chefs .

Elle tombe, se perd, se disloque, s’isole à l’incompréhension de tous. Son compagnon , ses amies, démunis, tentent aussi sincèrement que maladroitement de la tirer. Elle en est consciente mais n’a aucune prise sur elle même et elle les laisse douloureusement s’échapper. Elle laisse sa famille à l’écart pour ne pas l’alarmer de ce qu’elle est devenue. Elle reconnaît les fragilités , les failles et observe , impuissante, son anéantissement.Cela dure plusieurs mois.

Vient le moment où, de façon aussi inattendue, sans volonté de sa part, elle a le premier sursaut d’ouverture aux autres et au monde. Bientôt elle est enfin apte à recevoir l’appel de l’amie et de sa famille qui vont lui permettre le premier rebond pour se retrouver, reconstruire une vie plus conforme à ses désirs.

Gaëlle Josse nous fait approcher Clara, sans détour et avec humanité et nous incite aussi à jeter un regard sur nous même. C’est un très beau livre.

Coups de coeur Juin 2021:Colson WHITEHEAD, Underground railroad (2016)

C olson WHITEHEAD, Underground railroad (2016)

Né en 1969 à New-York, Colson Whitehead est un romancier, novelliste et journaliste.

Il est un des rares écrivains à remporter deux fois le Prix Pulitzer pour des fictions, en 2017 et 2020, pour Underground Railroad et Nickel Boys.

Underground Railroad, publié en 2016, est le sixième roman de l’écrivain américain Colson Whitehead. Ce roman, recommandé par de prestigieux parrains comme Barack Obama et Oprah Winfrey, décrit la fuite d’une jeune esclave de Géorgie, à travers les États du Sud, dans les années 1850.

Ambitieuse et passionnante, cette histoire fictive d’un chemin de fer souterrain (« Underground Railroad ») qui aurait aidé les esclaves à échapper à leur maître et à leur destin nous plonge dans l’Amérique au bord de la Sécession entre le Nord et le Sud.

À travers le destin de Cora, dont la mère a réussi à s’enfuir alors qu’elle n’était qu’une enfant, Colson Whitehead nous raconte l’esclavage, et le chemin escarpé qui aboutira non pas à l’égalité (il faudra encore des décennies pour ça) mais à une certaine liberté.
Cora a grandi sur une plantation de coton dans la Géorgie au 19e siècle, maltraitée, violentée et violée plus souvent qu’à son tour. Lorsque Caesar lui propose de se sauver pour gagner le Nord, elle commence par refuser, tétanisée par la peur, avant d’accepter après une violence de trop. Mais elle ignore que va commencer pour elle un long et périlleux périple, qu’elle va être poursuivie par des gens dont chasser les esclaves est le métier, en rencontrer d’autres formidables qui risqueront leur vie pour leurs idées, emprunter ce fameux chemin de fer souterrain. Colson Whitehead signe un roman puissant sur l’Amérique d’hier qui nous éclaire sur celle d’aujourd’hui et nous offre une réflexion sur notre lecture de l’histoire.

Liste de titres sur le même sujet :

L’un des nôtres – Willa Cather (Prix Pulitzer 1922)

Black boy – Richard Wright

– Chester Himes, surtout connu pour ses romans policiers mais il a également écrit ses mémoires : Regrets sans repentir.

– James Baldwin

Humeur noire – Anne Marie Garat

Vous pouvez également lire une interview de Colson Whitehead dans le numéro 2 de la revue America.

Coups de cœur de juin 2021 : J.M.A. Paroutaud, Parpaillote

J ean-Marie-Amédée Paroutaud, Parpaillote et autres contes cruels (1944)

Étant à Limoges, il y a deux semaines, j’ai découvert, lors d’une journée consacrée aux éditeurs limousins, un auteur. Jean-Marie-Amédée Paroutaud (1912-1978) et son livre Parpaillote et autres contes cruels (éd. « On verra bien »).

J.-M.-A. Paroutaud était un avocat et professeur de Droit à Limoges. Il fut également un écrivain rare dont la concise et sardonique noirceur fut saluée en son temps par André Breton et fait de lui l’un des meilleurs artisans de la littérature fantastique d’après -guerre. Il est l’héritier de cette double tradition, celle du conte cruel et celle de l’humour noir. C’est l’humour d’un Lautréamont, Kafka, Buzzati.

Dans cette édition « On verra bien », il faut apprécier une très bonne préface de Yann Fastier, que j’ai rencontré lors de cette journée et qui m’a fait découvrir cet auteur que je citerai pour finir mes propos : « La cruauté s’y manifeste non pas par une intrusion du surnaturel, mais au contraire par l’irruption inattendue d’une nature modifiée, d’une nouvelle modalité du réel, très concrète et sans échappatoire pour qui s’y trouve pris au piège. Dans tous les cas, la cruauté y relève d’une même inquiétude. Le réel, chez Paroutaud, est une falaise dont le bord s’effrite : un gouffre s’ouvre alors sous nos pieds, qui menace de nous engloutir. Mieux : s’y dévoile une sorte de méchanceté des choses où la morale n’a pas de part, qui n’est jamais qu’un poli de surface dissimulant une réalité de proie. »

Juin 2021 coups de cœur :Valérie Perrin, les oubliés du dimanche

Valérie PERRIN, Les Oubliés du dimanche (2015)

Valérie Perrin est née et a grandi en 1967 à Gueugnon (Bourgogne). Petite, elle n’aimait pas l’école et a abandonné le lycée en première, se rendant à Paris où elle vivra de petits boulots. Plus tard elle fondera une famille et partira s’installer à Trouville-sur-mer. En 2006, elle a fait la rencontre du réalisateur Claude Lelouch. C’est alors une véritable opportunité pour sa carrière : elle va devenir photographe de plateau et scénariste. Valérie Perrin a écrit à ce jour 3 romans et 1 nouvelle. Les Oubliés du dimanche est donc son premier roman.

L’héroïne principale, Justine Neige, a 21 ans vit avec ses grands-parents suite à un tragique accident qui a coûté la vie à ses parents alors qu’elle était enfant. L’intrigue se situe dans un EHPAD, « Les Hortensias », où Justine travaille en tant qu’aide-soignante. Elle adore son métier et se lie particulièrement à Hélène, une résidente dont l’histoire la touche beaucoup. Hélène lui raconte les événements tragiques de la Seconde Guerre mondiale et ce qui est arrivé à son mari, tandis que Justine s’ouvre à la vieille dame en lui racontant l’accident de ses parents, sujet tabou avec ses grands-parents, ainsi que ses amours et ses aventures de jeune femme.

Le titre du roman fait écho à ces trop nombreux résidents en attente vaine d’une visite de leurs proches. C’est l’un des autres axes abordés par l’auteure, au travers d’une enquête autour d’un corbeau qui déplore la situation de ces laissés pour compte…

Ce livre est une ode à la douceur et à la délicatesse. Elle évoque avec poésie la transmission entre générations et les liens qui se tissent petit à petit entre elles.

Cercle de lecture de septembre 2021

C’est reparti pour se retrouver comme ce mois de juin… on y compte

Thématique : Les Rencontres

  • Julia MONTFORT, Carnets de solidarité (2020)
  • Camille GOUDEAU, Les Chats éraflés (2021)
  • Marc ROGER, Grégoire et le vieux libraire (2019)
  • Leïla SLIMANI, Le Parfum des fleurs la nuit (2021)
  • Milena AGUS, Une Saison douce (2021)
  • Laure GASPAROTTO, Vigneronne (2021)

Très bel été à tous !