Jeu N° 3 métamorphose
Après vous être éloigné de Terrasson ( ou une autre cité) quelques temps, vous revenez et elle est devenue méconnaissable, métamorphosée, à quelques détails près qui permettent de savoir que vous ne vous êtes pas trompé.
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Métamorphose
J’ai passé plusieurs années à Paris et voilà que j’ai envie de retourner à Terrasson où j’ai vécu plusieurs années et revoir la vallée de l’Homme, tout cet univers préhistorique qui a un grand succès, même en dehors de notre frontière.
J’ai pris le train jusqu’à Terrasson, pas d’attente, pas de retard. Super-train, plusieurs wagons, super-silencieux. La classe quoi. J’arrive en gare de Terrasson. Méconnaissable. La petite gare a fait place à une gare type parisienne. Grand luxe. Terrasson est donc devenue une ville importante ?
Je descend de mon wagon et me dirige vers la sortie : musique, flonflons… Quel jour sommes-nous, c’est un jour de fête ? Mais non. Mais il y a des tas de panneaux publicitaires pour le Grand Casino de Terrasson, pas la petite épicerie, non, mais un casino où on joue de l’argent.Publicité pour de grands hôtels, pour l’achat d’appartement dans une Tour : la Tour Trump. Scuse me TRUMP TOWER
Alors là, les bras m’en tombent : comment Trump a colonisé la Dordogne, comment a-t-il pu trouver Terrasson sur la carte du monde ?
Je me renseigne, et il m’est rapporté (je me rends compte alors que tout le monde parle Anglais) que Trump a eu vent de ce merveilleux musée de Montignac, qu’il est venu en jet un soir, et qu’il a décidé que toute cette région était à lui.Il a envie d’un ranch, les petits chevaux préhistoriques lui ont beaucoup plu. Il en veut plusieurs centaines. IL a décidé que Terrasson serait la Riviera de la Dordogne. La rivière est aménagée, elle est dépolluée, ses rives sont tapissées de sable blanc et quand Trump vient, il aime bien faire trempette.
Il y a beaucoup de monde à l’extérieur, tous ces gens dansent et chantent à tue-tête leur bonheur. Impossible d’avoir la paix, la musique est partout. Pas une parcelle de silence même la nuit. Il y a des panneaux lumineux partout. On dirait Las Vegas.
Impossible d’avoir des repères. Les boutiques que je connaissais ont disparu, il n’y a que des boutiques de luxe pour habiller les stars.
A quoi me raccrocher ? Je reconnais le pont du XIIème siècle : ils ne l’ont pas touché. La vieille ville est encore plus belle. Mais où est ma maison ? Elle a été transformée en magnifique château.
Où sont les habitants de Terrasson ? Toute la ville a été rasée et de super-maisons ont vu le jour.Les habitants ont été déportés vers un grand camping loin de la ville . Un camp de réfugiés ???
Quelle horreur ! Je prends des photos et beaucoup de renseignements à ce sujet. Comment cela se fait-il que personne ne sache ce qu’est devenue la Dordogne. Personne n’en parle. . Je vais faire un article et porter plainte à Bruxelles
N.C
Cet hiver là fut terrible sur les berges de la Vézère terrassonnaise . Ma pauvre mère et mes sept frères et sœurs mourraient littéralement de faim et de froid. Mon père ne s’occupait plus de nous, depuis qu’il avait été licencié de la papeterie de Condat l’année précédente, il dépensait ses allocations de chômage dans les gargotes de la Nicle. Si bien qu’une nuit, je me rendis discrètement à la dernière boulangerie encore en activité dans la ville, je brisai la vitrine, m’emparai d’une belle tourte cuite au feu de bois et détalai à toutes jambes pour rapporter au plus vite mon butin à mes sept petits frères et sœurs..
Malheureusement, mon larcin n’avait pas échappé aux caméras à infra-rouge de vidéosurveillance à reconnaissance au faciès mises en place par la municipalité RN nouvellement élue. La gendarmerie ne tarda pas à venir s’emparer de ma personne et de me déférer au tribunal qui me condamna à dix ans de galères pour ce forfait.
Une fois ma peine accomplie, je rentrai au pays. Ce fut un choc quand j’arrivai à pied par pont de l’Europe qui avait été rebaptisé pont du Frexit : je peinai à reconnaître ma ville.
Ce que je ne pus pas manquer en premier lieu, de là où j’étais, c’était la disparition de La Vergne, entièrement recouverte par les eaux de la Vézère, comme tout l’espace entre le Brasset et la rivière . On m’expliqua plus tard que les politiques de la transition énergétique ayant été abandonnées, le réchauffement climatique s’était accéléré et les pluies diluviennes gonflaient régulièrement les eaux de la Vézère qui prenait alors ses aises et renouait avec sa belle sortie d’octobre 1961 dont quelques nonagénaires se souvenaient encore.
La ville basse semblait à demi abandonnée par ses habitants. La montée sporadique des eaux fluviales l’avaient renvoyée à son passé marécageux et le paludisme avait décimé une partie de la population. La médiathèque jugée trop coûteuse et accusée de diffuser de la propagande wok et islamo-gauchiste avait été vendue à un privé qui en avait fait un supermarché low-cost pour les pauvres qui n’avaient pu s’installer ailleurs. Je remarquai sous le nom de l’enseigne une formule écrite en lettres bleu, blanc, rouge : « magasin réservé aux français de souche ».Les HLM de la Borie Basse, des Chauffours, du Maraval semblaient vides de leurs habitants : remigration, me dit-on.
Rive gauche, ça avait bien changé aussi.Les jardins de l’Imaginaire avaient disparu, laissant place à un espace désolé noirci par les terribles incendies qui avaient ravagé les collines alentour : toujours le réchauffement climatique. Quant à la Nicle, elle avait été repeuplée par une population misérable qui survivait entre les brusques montées de la Vézère et les incendies encore possibles. Le centre culturel avait été reconverti en caserne pour héberger les policiers municipaux de plus en plus nombreux et de mieux en mieux armés. Jeanne d’Arc était devenu un centre de contrôle où étaient centralisées et traitées toutes les données fournies par les centaines de caméras de vidéo-surveillance qui quadrillaient ce qui restait de la ville.
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