Les rêveurs (2018), Isabelle Carré

Comédienne et actrice, Isabelle Carré est née en 1971 à Paris.
Les Rêveurs est son premier roman. Dans une interview, elle écrit :
“A dix ans, j’ai commencé à écrire un journal intime. Mais j’ai mis longtemps à m’autoriser à écrire l’histoire de ma famille. Je crois que j’avais peur de ne pas avoir les mots justes. C’est ça aussi qui m’a poussée à l’écrire comme un roman : je voulais être dans mon ressenti, pas dans un récit factuel. Je n’ai mené aucune enquête ! J’ai travaillé à partir de mes souvenirs et de mon imaginaire enfantin. J’ai inventé certains faits et j’en ai mélangé d’autres : disons que tout est vrai, mais seulement pour moi. Ce livre repose beaucoup sur le temps qu’il faut pour que les souvenirs s’éclaircissent.
J’ai grandi dans une famille romanesque. Mes parents venaient d’univers très différents : des aristocrates désargentés d’un côté et des cheminots de l’autre. Ma mère a tenu tête à sa famille qui voulait qu’elle abandonne son premier enfant à des religieuses (grossesse hors mariage). Très jeune, j’ai eu conscience de la singularité de leurs personnalités et de leurs parcours. Mon enfance en a été profondément marquée”.
Le monde de sa petite enfance ressemble à un rêve heureux, une maison pleine de couleurs, une vie de bohême qui offre un contexte favorable pour développer l’imagination, la curiosité et la créativité mais ce monde n’est qu’apparence. Ses parents, fragiles, ont du mal à vivre leur vie. Sa mère, dépressive, a du mal à être présente au monde. Quant au père, designer, malgré sa tentative pour fonder une famille, il finit par abandonner sa famille pour vivre son homosexualité mais il ne trouve pas non plus sa place, ni professionnellement ni affectivement.
Isabelle ne trouve pas auprès d’eux l’attention sécurisante dont elle aurait besoin. Elle s’émancipe tôt ; à 17 ans, elle quitte le logement familial. Elle a du mal à tracer sa vie personnelle, même si le théâtre lui offre dès le lycée un échappatoire désiré et nécessaire.
“Toutes les époques subsistent en nous à la façon des matriochkas”.
Derrière l’actrice et la femme lumineuse se loge une personne écorchée qui doute, se débat, une grande solitaire qui porte la charge d’un passé compliqué.
Sont évoqués beaucoup de sujets graves comme l’abandon, l’avortement, la dépression, le suicide, l’internement, l’homosexualité, la détention. Des plaisirs simples apportent un peu de réconfort par leur description, évoqués avec sensibilité et poésie.
“Comme chaque fois que j’ai besoin de retrouver un peu de chaleur, ou que je n’arrive pas à dormir, j’imagine que la terre est un animal gigantesque, un énorme animal dont l’herbe est la peau, son écorce douce, elle aime sentir les hommes bouger son dos, se coucher sur elle, et les entendre respirer. Je m’endors avec cette image de terre-animal, d’une Terre-Mère qui porte sur elle ses enfants. Je peux sentir sa tendresse”.
Ce texte parfois déroutant par sa forme (pas de chronologie – pas de changement de narrateur) est à l’image de cette famille compliquée et “ce désordre est peut-être à l’image de nos vies”.
Christine, Dominique. Dou. Et D. Dor.