Jeu 3 Parole de victime
Celle que vous faites parler est un objet parmi les suivants :
- une clé de maison perdue
- une chaussure égarée
- une théière poussiéreuse
- une clé USB cassée
- un téléphone portable enfoui
Une clé de maison perdue
Me voilà arrivée dans une nouvelle main, grande, jeune, chaude, un peu moite, fébrile : c’est le jour de l’emménagement ! L’excitation est à son comble. Je suis regardée, étudiée, encensée : je représente une sorte de victoire, d’accomplissement. Mon jeune compagnon est fier de me tenir, de me montrer, comme un trophée.
Il s’empresse de m’accrocher à un anneau sur lequel pendent déjà mes nouveaux amis : une photo de famille, un souvenir de voyage, une autre clé.
Nous quittons l’appartement. Je m’enfonce délicatement dans le pêne de la porte, épousant ses formes, et l’entraîne avec moi dans un tendre tourbillon jusqu’au clic de fermeture.
Mes acolytes sont un peu ballottés et se cognent les uns aux autres en riant.
Notre collaboration devrait être agréable.
Ensuite, j’atterris au fond d’une poche dans laquelle il fait bien chaud.
Tiens, il y a du monde là dedans : un briquet, un sifflet, des pièces de monnaie, un gros boulon et un post-it.
Nous sommes quand même un peu serrés.
Au premier arrêt de mon jeune compagnon, le voilà qu’il fouille dans sa poche.
Ses longs doigts tâtonnent, attrapent, relâchent, refouillent…et me voilà embarquée avec mes amis, collés au post-it qui tombe au sol étouffant le bruit de notre chute.
Il va s’en rendre compte, il va me ramasser, je suis trop indispensable pour lui, il ne peut pas partir sans moi !
Naaaannnnnnn, il s’en va !!! Je vois ses pieds s’éloigner de moi, franchir la porte …je le perds de vue.
Je suis désemparée. Que vais-je devenir ?
Comment retrouver Pêne ? Nous sommes tellement complémentaires, je ne suis rien sans lui, et il n’est rien sans moi !
Que je crois !!! Mes amis m’apprennent que j’ai une sœur jumelle qui épouse aussi parfaitement les formes de Pêne.
Je suis anéantie, gisant sur le sol, collée à un vulgaire bout de papier jaune affreux et griffonné.
Mais, qu’y a t-il d’écrit dessus ?
Des chiffres, une adresse … ?
C.F.
J’en suis encore toute remuée. Je ne comprends pas bien comment c’est arrivé.
J’étais accrochée à une peluche toute douce avec qui je voyageais depuis longtemps et soudain, la chute mais une chute vertigineuse sur les pavés. Je reste là pendant plusieurs heures à m’interroger sur mon avenir. La nuit est tombée. Personne ne s’est penché sur mon sort. Tout d’un coup, un orage et une pluie diluvienne se sont abattus sur le village et m’ont entraînée dans le ruisseau. Celui-ci a débordé et m’a déposée en bordure du parc. Le lendemain matin, un garçonnet qui était venu jouer au ballon a été attiré par mon éclat (eh ! oui, je brillais encore…). Il m’a déposée à la mairie du village et miracle, ma propriétaire est venue me chercher.
Je suis maintenant solidement fixée à un crochet bien au chaud à l’intérieur de son sac à main. A moins qu’elle n’égare son sac, je devrais être à l’abri d’une autre mésaventure !
D.Dou
Peu m’importent les soupirs, les énervements, les cris, je suis planquée derrière la collection des 45 volumes du Larousse, édition 1961. C’est son petit fils qui l’a jetée là pour punir sa méchante maman, qui maintenant hurle comme une démente ; elle devra laisser la maison sans l’avoir fermée à clef. Bien fait pour elle. Moi je resterai planquée là jusqu’à ce qu’un curieux s’empare d’un volume du Larousse, et ça ce n’est pas demain la veille dans cette maison d’incultes.
S.R.
Une seconde de distraction de ma propriétaire ( elle en a souvent) et voici son sac à main répandu au pied de la portière. Elle est pressée, comme toujours. Elle rassemble les objets dispersés sur le gravier à la va-vite et les jette sans ménagement dans sa besace….sauf moi, la clé de la maison.
Il ne reste que moi sur le lit de gravillons qui grattent désagréablement mon dos. La journée est longue. De temps à autre, je joue avec le soleil. Il est encore haut quand j’entends le moteur : je concentre tous les feux des rayons pour attirer son attention. Mais, aie, un pneu roule sur mon dos, m’enfonce un peu plus dans le sol… C’est la nuit. Aucun moyen de me manifester. Je n’arrive pas à m’agripper aux crans du pneu (une crevaison aurait été la bienvenue pour me retrouver même si je soupçonne qu’elle n’aurait pas été bien accueillie).
J’entends ma propriétaire qui revient à son véhicule, chercher en pestant… Enfin, je retiens son attention. Elle fouille l’habitacle, peste contre moi. Il ne manquait plus que ça! Ça ne dure pas longtemps . Les pas s’éloigne. Elle a dû se rappeler une possibilité d’entrer autrement. Damned ! Elle va prendre mon double et pour moi tout est fini ! J’aimais bien la caresse de sa main … je vais petit à petit être ensevelie vivante sous les gravillons. On me retrouvera dans 100 ans et on ne se souviendra pas à quoi je servais.
Une autre journée commence. La lumière ne me rend pas le moral pour autant. Je rumine … quand je sens un objet pointu qui le pique , me saisit et m’emporte dans les airs avec une telle vivacité que j’en ai le vertige. Si je pouvais crier !.. la maison est toute petite, j’aperçois la voiture qui file vers des lieux inconnus. Avant que je n’aie pu m’en remettre, me voici déposée dans un espace douillet de feuilles , d’herbes et de brindilles en compagnie d’autres objets hétéroclites et brillants avec qui faire la causette pour passer le temps. Une nouvelle maîtresse noire et blanche me couve des yeux. Ai-je vraiment à y perdre ?
D.Dor
la chaussure égarée
Où suis-je dans ce Noir à couper au couteau ? Je ne connais pas cet endroit et en plus je n’ai pas ma jumelle. Qu’est-ce qu’il lui a pris de me balancer dans cet endroit où j’étouffe. En plus lacet sur la chaussure (cerise sur le gâteau pour ceux qui n’ont pas compris), le vieux pull puant qu’il met toujours m’est tombé dessus me recouvrant complètement. Je ne peux ni appeler, ni bouger vu qu’il ne comprend pas mon langage. Que vais-je devenir ? Il ne va tout de même pas remplacer ma jumelle ou nous utiliser séparément. D’ailleurs on nous appelle des chaussures et non une chaussure. Ah ! La porte s’ouvre j’ai peut-être un espoir d’être à nouveau à l’air libre.
H.L.
J’ai beau me remémorer ce jour funeste, je ne comprends toujours pas comment cela a pu se produire. J’étais pourtant une bonne marcheuse, aucun sentier caillouteux, aucun bitume ne me rebutait, avec moi le pied était toujours en sécurité. Et puis voilà, ce maudit jour où ma semelle a failli ! Après une longue marche dans les sous-bois, j’étais épuisée, tout échauffée, mon lacet desserré ne faisait plus son office, le pied flottait, bringuebalait dans son logement. Je sentais la catastrophe arriver !
Cela s’est passé sur le trottoir, à deux pas de la maison, quand cette chose infâme, glissante et puante est venue à ma rencontre. J’ai voulu esquiver mais le pied mal chaussé ne m’a pas suivie et l’évitement a été impossible. J’ai su qu’il était trop tard lorsque j’ai entendu un grondement de colère et de rage dans les hauteurs. Le pied a trépigné, tapé, frotté le bord du trottoir mais sans grand résultat : j’étais souillée et honteuse !
Et depuis ce jour, je croupis au fond d’un seau remplie d’eau javellisée, moi qui ne sait pas nager ! J’ai froid, je me sens toute gonflée, mes lacets se délitent, mes couleurs s’effacent si ça continue je vais devenir une blonde peroxydée ! Mais qui viendra me délivrer ?
Ah, ce pied est un ingrat ! Il m’appréciait bien pourtant, nous en avons fait des balades tous les deux, je le suivais partout, forcément. A chaque retour il me bichonnait, me brossait délicatement, m’époussetait et me rangeait bien à plat sur l’étagère à côté de ma moitié. Mais il m’a oublié, moi, qui a tout fait pour résister au dérapage, que sans moi la chute aurait été rude voire pire encore : une entorse, une fracture ! Mais non, il m’a jetée là, sans aucune forme de procès alors que logiquement il aurait dû me remercier pour le bonheur de s’en être sorti indemne, car ce n’est pas par hasard si je lui ai évité des blessures terribles, je ne suis pas son pied gauche pour rien !
B.D.
Je suis une super chaussure de sport type « Jordan ». Je suis usée bien sûr car mon propriétaire est un sportif professionnel. Je suis sa chaussure droite. Du coup, il jouait tous les jours, impossible de me reposer. Il m’adorait. Il sautait comme un cabri avec moi. Il disait qu’il était monté sur ressorts avec ces super-chaussures.
Il s’occupait bien de moi, à l’époque. Toujours propre, étincelante. J’entendais dire qu’il ne se séparerait jamais de moi.
Et voilà, un soir, je me suis retrouvée seule sur la route.
Je n’ai rien compris, c’était sur le chemin du retour, il faisait froid, il courait vire pour rentrer. Il ne m’a pas entendue tomber. Je me sens abandonnée, mal aimée, triste. Va-t-il partir à ma recherche ou va-t-il jeter mon autre moitié à la poubelle ?
N.C.
La théière poussiéreuse
Dans des combles encombrées , au fond d’un carton déchiré , sommeille une théière poussiéreuse . Son ventre rond est constellé de taches brunes , son couvercle bancal , sa anse ébréchée et une fine pellicule de poussière l’ enveloppe d’oubli .
Parfois , la nuit , réveillée par les lattes chantantes du parquet , elle rêve de vapeur parfumée au jasmin , à la menthe , à la bergamote . Elle rêve de mains précautionneuses qui la soulèvent avec douceur et qui la font chanter : chant mélodieux qui tombe en cascade dans un bol évasé . Mais plus encore , elle rêve d’ héberger un génie au rire tonitruant qui s’envolerait comme un nuage d’or de son bec et qui exaucerait le vœu d’un enfant malicieux , émerveillé par la magie du djinn.
Mais , pour l’instant , elle attend dans le silence feutré du grenier comme une braise attend le souffle pour s’ embraser .
H.T.
Le portable enfoui
Elle n’est pas en avance ce matin !
Cela fait bien 10 minutes qu’elle est à ma recherche, elle passe et repasse tout près de moi sans me voir. Elle a bien retourné tous les coussins sur le canapé mais ce n’est pas suffisant, il va falloir qu’elle pense à plonger la main entre les sièges sinon je suis bon pour rester là toute la journée ! Ah si ma batterie n’avait pas été aussi faible j’aurais bien tenté quelque chose mais je suis dans le rouge, il faudrait que quelqu’un l’appelle pour qu’elle me repère mais je crois bien que je suis en mode silencieux.
Elle va être en retard !
Je sens qu’elle commence à s’énerver, c’est pas bon signe dans deux secondes elle va être en PLS (dégoûtée) ! Comme hier, où elle a passé sa soirée à liker (aimer) son nouveau crush (coup de coeur), qui entre nous soit dit, l’a salement ghoster (ignorer). Elle lui a envoyé tellement de posts (messages) qu’elle était à deux doigts de le stalker (harceler). De dépit, elle s’est mise à scroller (faire défilé les messages sur l’écran) comme une folle. Son swipe (swiper : déplacer son doigt sur l’écran tactile) habituellement délicat était plutôt rageux, j’avais mal à mon écran tactile et jai frisé la surchauffe.
Elle est en retard !
Je sens qu’elle a le seum (la rage ou tristesse), sinon elle m’aurait déjà retrouvé. Elle repense à la photo de profil de son bae (Before Anyone Else : avant tout le monde # amoureux) qu’elle a screené (capture d’écran) pour l’avoir dans ma galerie, elle aurait pu l’admirer à loisir et même la mettre en fond d’écran. De dépit, elle avait voulu changer sa photo de profil, alors là elle a fait cinquante selfies de tous les côtés : assise, debout, allongée, en pleine lumière, en contre-jour, avec sourires, sans sourires, des petites moues, même le chat réveillé en plein rêve de souris bien grasses et juteuses a dû prendre la pose, mais rien ne lui allait. Pourtant je suis au top des FPP (Pixel Par Pouce) !
Elle est très en retard !
Cette fois, elle bade (tristesse, angoisse, inquiétude, mélancolie) à mort. Elle enfile son manteau, fouille son sac pour la énième fois, jette un dernier coup d’œil désespéré dans la pièce et puis, à regret, se décide à partir. La journée va être dure pour elle ! La porte se referme et tout-à-coup je me sens vibrer. Hé, hé, je suis là, reviens ! Trop tard, elle ne m’entends pas. Mais qui ça peut bien être ? Une notification de sa nouvelle millième amie de son réseau préféré ? Un sms, un spam ? Bon, peu importe, je suis à 2 %, bientôt la décharge totale. Je sens que je vais passer une journée pépère pour une fois !
B.D.

